LE BLOG DE L’AVPAV (association pour la valorisation du patrimoine architectural du valentinois)
Repérage « in situ » de la villa Saint-Georges
(Romans-sur-Isère)
Daphné Michelas
historienne du patrimoine
Dans le fonds d’archives Joulie-Rey, une affaire concernant la villa Saint-Georges nous a interpellé. Ce projet semblait être commandité par un industriel romanais : Joseph Fenestrier. Plusieurs dessins de très grande qualité d’exécution présentent une vaste demeure agrémentée de folies et autres constructions dans un jardin arboré. Curieux par ce projet d’envergure, nous nous sommes rendus sur place à la recherche de cette villa… Retour sur un projet verdoyant !
La famille Fenestrier à Romans
Joseph Fenestrier (1874-1916), industriel romanais, achète un atelier de chaussure à la fin du 19e siècle, près de la gare de Romans. Mais l’histoire de la marque J. Fenestrier à Romans débute réellement lorsque Joseph crée en 1906 la première marque de chaussures de luxe française «UNIC ». Grâce à l’arrivée en France de la technique américaine dite le cousu Goodyear, les affaires marchent bien pour Joseph Fenestrier qui compte désormais 3 usines et plus de 800 employés travaillant à la production des chaussures. Dans cette même mouvance, Joseph Fenestrier et son épouse Juliette Robin ont un fils, prénommé lui aussi Joseph Fenestrier (1901-1961). Le 25 février 1916, Joseph père décède laissant la direction de l’usine à sa veuve et ses collaborateurs. En 1922, Joseph fils reprend l’entreprise. Ensuite, plusieurs propriétaires se succèderont à la tête de cette entreprise avant que la Maison Clergerie n’en reprenne la direction en 1978.
Confortablement implanté sur Romans, Joseph Fenestrier père, puis son fils, font intervenir Henri Joulie, mais aussi Michel Joulie sur plusieurs projets de construction dans la cité. Dans cette longue liste, nous retrouvons notamment le quartier Bel Air, l’usine Unic et dépendances pour les ouvriers (type maisons ouvrières), mais aussi le projet d’habitation du château de Saint-Ondras en Isère, la colonie de vacances « Le Grand Logis » à Saint-Pierre de Chartreuse et le tombeau familial se trouvant au cimetière de Romans.
Un projet d’envergure agrémenté de folies et autres constructions dans un jardin arboré.
Les plans conservés dans le fonds Joulie-Rey de l’habitation Saint-Georges à Romans ont-ils été réalisés ? S’agissait-il d’un projet ? Après quelques investigations, des interrogations demeurent, notamment sur les datations. Ces plans sont datés de 1922 à 1930, dont certains sont au nom de J.Fenestrier. Or, d’après les recherches de Lucien Dupuis, en 1922 le propriétaire de la villa Saint-Georges, M. Paul Daide la « donne à bail » pour 18 ans avec promesse de vente, à Joseph Fenestrier.
Cette maison existait bien en 1922 mais ce dernier ne l’acquiert que le 12 novembre 1930. Une chose est certaine, Henri Joulie est intervenu sur les aménagements extérieurs, dont la plupart sont encore visibles in situ.
Ce vaste domaine comprenait une somptueuse villa, des dépendances, plusieurs jardins d’agréments, de parterres de fleurs, de pièces d’eau et de vergers dont Henri Joulie semble en être le créateur. Dans une ambiance très bucolique, le grand promenoir menait au pavillon du parc dit le temple de Vénus. Le jardin dit « à l’italienne », avec son bassin était décoré de pilastre et d’éléments moulurés antiquisants. Le bâtiment abritant les communs, reconnaissable par sa haute tour type pigeonnier et ses pergolas, était réservé au chauffeur et au jardinier du domaine. Au-dessous des logements, trois garages très sophistiqués pour l’époque abritaient une fosse de mécanicien, une pompe à essence et une station de lavage. Les aménagements et ornements d’agréments de cette villa Saint-Georges étaient présentés dans la plaquette professionnelle EDARI d’Henri Joulie. Quelques clichés témoignent du projet de l’architecte. Monsieur André Morel fut le dernier propriétaire de cette demeure. Il rachète le domaine en 1961, et le revend à son tour en 1980 à Baticonseil, promoteur immobilier.
Malheureusement, cette villa fut détruite en 1980 et remplacée pour l’immeuble « Eden Park ». L’un des propriétaires actuels a accepté de nous ouvrir l’accès au parc, toujours aussi arboré et soigné par le jardinier de la copropriété. Le bâtiment abritant la tour et le pigeonnier a subi quelques modifications mais est toujours visible. L’espace des box, du paddock et des animaux ont disparu, laissant place à l’aménagement d’une piscine et son pool house. Les éléments d’agréments sont toujours en place, les pergolas, le grand promenoir, le temple, les bassins et les parterres de fleurs se devinent encore dans le tracé des allées arborées. Les pilastres cannelés, le banc à l’antique et les margelles du bassin ont disparu. L’entrée majestueuse en ferronnerie ouvragée, à quand a-t-elle été conservée. Les plans du parc signés Henri Joulie sont assez proches des réalisations de Russell Page, paysagiste britannique et grand nom de l’histoire des jardins de la seconde moitié du 20e siècle (créateur de jardins pour les familles Agnelli, Rothschild, Boussac, Alikhan…).
Pour en savoir plus sur la villa Perosa de la famille Agnelli, par Russell Page
(sources : Association de sauvegarde du patrimoine romanais et péageois, Lucien Dupuis / Archives municipales de Romans / témoignage de Jean-Jacques Morel et André Morel, derniers propriétaires avant la destruction /Michelas Daphné, Henri Joulie (1877-1969), architecte valentinois, Mémoire de maîtrise d’Histoire de l’Art sous la direction d’Hélène Guéné-Loyer, Université Lyon 2, 2001)