Xavier David
Architecte
Licencié en Histoire de l’art
Une rencontre féconde entre un commanditaire et un architecte pour une belle œuvre originale.
En 1868, le Révérend père Cormier est prieur du Couvent de Marseille.
À ce moment-là, l’architecte Pierre Bossan a déjà beaucoup construit, il est alors en pleine maturité.
Cette rencontre, entre un commanditaire avec un programme architectural et iconographique aussi précis, et un architecte avec un vocabulaire personnel très riche pouvant y répondre, est rare.
Les lettres auxquelles nous avons eu accès montrent la proximité et la confiance réciproques du prieur et de l’architecte pour la construction de l’église.
La première pierre sera posée le 24 novembre 1868 et la bénédiction de l’église le 7 mars 1878.
…« Voyez la plante, disait Bossan à Sainte-Marie Perrin, elle s’établit par les racines ; la tige se développe avec simplicité, et les richesses de la fleur la couronnent. »…
Un programme précis et original
Les dominicains demandent à Pierre Bossan de concevoir une église dédiée à la Vierge en employant toute l’iconographie des mystères du Rosaire.
En extérieur, la volumétrie de l’église est très simple, une nef, deux collatéraux largement ouverts sur celle-ci, un chœur avec un chevet plat. Pas de transept, pas de tour lanterne, pas de tour-clocher.
En intérieur, en revanche l’architecture se déploie du bas vers le haut, du pesant au léger. Des lourdes bases des chapiteaux aux nervures élancées de la nef.
« Voyez la plante, disait Bossan à Sainte-Marie Perrin, elle s’établit par les racines ; la tige se développe avec simplicité, et les richesses de la fleur la couronnent. »
En accompagnement de l’architecture, Pierre Bossan va utiliser plusieurs arts du décor pour mettre en œuvre le programme.
La sculpture sur pierre blanche pour l’iconographie des mystères :
- les 15 mystères du Rosaire seront sculptés en relief sur toute la hauteur de la façade principale.
- la scène où la Vierge remet à Saint-Dominique le Rosaire occupe, en haut-relief, toute la largeur en partie haute du chœur. (ill5)
Le vitrail peint
24 grandes figures de sainteté, hommes et femmes, de l’Ordre dominicain éclairent et surplombent la nef.
La peinture murale :
• toutes les parois murales et les plafonds sont revêtus de peinture. Trois teintes pour trois mystères : le blanc pour les Joyeux, le rouge pour les Douloureux et le jaune/or pour les mystères Glorieux.
• dans chacune des six chapelles, une frise composée avec l’attribut du saint auquel est dédié l’autel (le flambeau pour Saint-Dominique, la barque pour Saint-Lazare,…)
L’ornementation sur pierre blanche
Les chapiteaux et les bases des colonnes, les arcs, les nervures et les voussures des arcs portent une ornementation. Chaque ornement est unique, il n’y a ni deux chapiteaux ni deux voussures d’arc, identiques, dans toute l’église.
L’ornementation sur bois
Le buffet de l’orgue, les grandes portes de l’entrée, les petites portes du chœur, … tous ces ouvrages sont dessinés en cohérence de style avec l’ensemble.
Ornementation (Notre-Dame du Rosaire des dominicains)
… Pierre Bossan avait fondé autour d’un chanoine exégète de Valence une petite école d’art sacré
Une équipe de constructeurs en relation étroite avec l’architecte
L’entrepreneur du gros œuvre, l’entreprise Barbe, est une entreprise marseillaise.
Les artisans et les artistes du décor viennent de l’Atelier d’art sacré de Valence ou de Lyon.
En effet, vers 1858, Pierre Bossan avait fondé autour d’un chanoine exégète de Valence une petite école d’art sacré. Plusieurs artistes la fréquentent et travaillent ensuite au chantier de Marseille : le sculpteur Millefaut, le sculpteur Camille Rey, frère de Joannis Rey, architecte, …
Les peintres sont J. Razuret, décorateur et F. Révérant, peintre, à Lyon
Les vitraux proviennent de l’atelier du peintre-verrier Jean-Baptiste Barrelon, situé à Grigny, à quelques kilomètres de Lyon.
L’architecte Joannis Rey, qui assurera la direction du chantier de Marseille, vient lui aussi de l’atelier valentinois.
Trois accidents historiques bousculent la vie de l’édifice
Disparue pendant la Révolution française, la Province dominicaine de Toulouse a été restaurée en 1865, et après soixante-dix ans d’absence les frères prêcheurs reviennent à Marseille.
Grâce à la générosité de Madame Noilly-Prat, riche bienfaitrice à la tête d’un commerce d’alcools florissant, le frère Hyacinthe-Marie Cormier, alors prieur du couvent, fait bâtir l’église conventuelle entre 1868 et 1878. Les deux ailes d’habitation pour les frères furent prêtes deux ans plus tard, en 1880.
À peine installés, les religieux furent expulsés le 29 octobre 1880. L’autel du Sacré-Cœur est tout juste terminé, l’autel de Saint-Joseph attendra quelques années. Ce sont les seuls autels dessinés par Pierre Bossan, qui meurt en 1888.
De retour après dix ans d’exil, les frères lancent le projet de la construction du chœur des religieux, en arrière du chœur. Ce projet sera conçu par Joannis Rey et réalisé par l’entreprise Ferrat entre 1898 et 1899.
Le 23 juillet 1903, les religieux sont expulsés une 2è fois. Le couvent ne reprendra vie qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, en septembre 1921.
Puis après la Seconde Guerre mondiale, l’Église connait un temps de crise et c’est le temps de la déconstruction d’une partie de l’intérieur de l’église par la communauté dominicaine de Marseille.
La chaire, le baptistère, l’autel de Saint Thomas d’Aquin sont démolis dans les années 1950.
L’autel majeur est démonté pour être partiellement remonté dans la chapelle de Saint Thomas d’Aquin.
Les luminaires et l’orfèvrerie disparaissent.
Un nouvel autel majeur de forme contemporaine est installé.
Une éclipse d’une vingtaine d’années, de 1970 à 1990, suivra avec la fermeture de l’église haute et un repli de la communauté dans la crypte.
Pendant ces années d’abandon de l’église haute, les couvertures et les chéneaux, en très mauvais état, provoqueront des infiltrations et des dégâts considérables en partie haute des voûtes.
Depuis les années 1990, est venu le temps de la réappropriation de l’œuvre de Bossan et aujourd’hui le temps d’une restauration enthousiaste de celle-ci.
Plans et elevation (église Notre-Dame du Rosaire des dominicains)
Les sources documentaires
L’histoire proprement dite de l’église, et de la province dominicaine de Toulouse qui l’a construite, a été documentée par plusieurs générations de dominicains, avec en particulier un historien, le frère Augustin Laffay, il y a une quinzaine d’années.
Des photos anciennes, nous sont données dans la monographie sur Pierre Bossan faite par Félix Thiollier en 1891.
Mais ce sont trois fonds dont nous avons disposé, qui ont été les plus instructifs sur la construction de l’église, de la crypte et de la sacristie.
1 – Des devis, des métrés et des situations des travaux
Ces documents sont disponibles au couvent de Marseille, nous les avons utilisés pour connaître les matériaux employés, leur localisation et la chronologie du chantier.
2 – Le fonds documentaire Joulie/Rey de Valence
Une historienne de l’art, qui cherchait à Lyon des sources documentant l’église de Marseille a découvert auprès d’un architecte de Valence, Thomas Joulie, un fond de plans de Joannes Rey qui nous donne quelques détails précieux de stéréotomie du système constructif de l’église, de la crypte et de la sacristie.
3 – Les lettres de Pierre Bossan au prieur
Ces lettres sont disponibles au couvent de Marseille, elles nous informent sur l’abandon du chantier par Grinda, et sur la désignation de l’entreprise principale Barbe parmi 3 candidates. Elles nous disent aussi la relation de confiance établie entre le prieur et l’architecte.