LE BLOG DE L’AVPAV (association pour la valorisation du patrimoine architectural du valentinois)
Chantal Burgard
Architecte honoraire
D’après une carte postale…
histoire de l’église d’Alboussière
Sur la route de Valence, bien que face à des bâtiments industriels, l’église annonce l’entrée du bourg. Un peu plus loin en direction du centre, le temple qui date de 1821 (1)Evelyn et Gérard Baudet, Si Alboussière m’était conté, Imprimé Isi print, novembre 2020. s’impose avec austérité.
L’église est orientée est/ouest conformément à la tradition chrétienne. Or aucun traitement de l’espace public ne marque son entrée. Cependant, une croix sur le pignon, le clocher en arrière-plan et les vitraux indiquent sa fonction cultuelle.
Et pourtant, sa monumentalité, la modernité affichée par la simplicité de son volume, ses toitures inversées et l’abstraction des vitraux, associée à la maçonnerie en pierre, intriguent et invitent à entrer dans l’église.
A l’intérieur, un espace du dénuement qui guide symboliquement vers la croix.
En y pénétrant, on est saisi par l’extrême sobriété du lieu. Des vitraux colorés scandent les façades latérales de la nef et guident le regard vers le chœur. La toiture se soulève vers l’autel qu’éclaire symboliquement un grand vitrail.
La texture de la pierre des murs et du bois vernis des plafonds en lattis et des bancs, le chromatisme des vitraux, adoucissent l’austérité de l’espace.
La même simplicité s’affirme dans le mobilier liturgique.
A l’entrée de l’église, aucun panneau n’indique la date de construction, le nom de l’architecte, ainsi que l’esprit œcuménique qui a guidé sa construction.
Et pourtant, malgré la rudesse de l’architecture extérieure, les paroissiens apprécient la simplicité de l’intérieur « J’aime sa sobriété car on n’y a pas mis de la richesse ! »
et « Cette église ressemble à un temple ».
Quelle histoire urbaine nous raconte cet édifice ?
L’absence d’archives en mairie ne permet pas d’apporter de réponse à cette question. Seules les archives diocésaines de Viviers et départementales (qui ne possèdent aucun plan de l’architecte) disposent de deux documents sur la vente des terrains et le transfert de propriété à la commune. Ceux-ci nous renseignent sur les dates de construction et les objectifs urbains de cette grande église.
L’église est située sur la route de Valence à Lamastre, en direction de Saint-Agrève situé sur le plateau ardéchois. L’ancienne chapelle Saint-Didier du XII° siècle est située à 1 km du bourg actuel, dans le hameau Saint-Didier-de-Crussol. « A partir de 1865, le lieu-dit d’Alboussière a pris de l’expansion, l’architecture de la commune a été modifiée par la création, le déplacement de plusieurs routes et chemins vicinaux […] Saint-Didier est devenu Alboussière en 1880 » (2)Ibid, p. 121..
Suite au développement économique du centre d’Alboussière, la chapelle est devenue trop petite et trop éloignée.
Marie-Ange Vareille, une habitante d’Alboussière, me guide vers Jean Chirouze. Lui aussi habite cette commune et a connu la construction de l’église. Il nous remet alors une carte postale représentant le projet de la « future église », dont le dessin est signé par l’architecte Jean-Pierre Joulie.
Cette carte postale (15 cm x 11 cm) illustre le projet par un dessin à l’encre noire pour l’architecture, avec lavis pour la végétation qui entoure l’édifice. Le dessin met en évidence les toitures, l’émergence du clocher, la texture des murs en pierre. Le choix de l’architecte de représenter son projet par une axonométrie aérienne lui permet ainsi de montrer l’ensemble du site. La construction, isolée dans un environnement végétal, ne s’inscrit donc pas dans un paysage urbain.
Qui est l’architecte Jean-Pierre Joulie ?
Jean-Pierre Joulie (1910-1989) est le fils de l’architecte valentinois Henri Joulie (1877-1969). Celui-ci a œuvré dans la Drôme et l’Ardèche (hôpital de Privas et thermes de Vals). Son autre fils, lui aussi architecte, Michel Joulie (1915-2014) a réalisé de nombreux projets dans la Drôme, dans un esprit de modernité manifeste. Jean-Pierre est diplômé de l’école régionale de Lyon en 1940. Il s’installe à Valence de 1949 à 1967, comme architecte des Monuments Historiques puis en 1967 devient architecte des Bâtiments de France (3).
Que dit cette carte postale de l’histoire de l’église ?
La carte postale, image démocratisée au XX° siècle, disponible dans les cafés et bureaux de presse, illustre ce désir de modernité.
Mais qui a pris l’initiative d’éditer cette image à l’opposé d’une représentation pittoresque de la vie rurale ?
Est-ce là une trace de l’imaginaire urbain de la commune soucieuse alors de s’inscrire dans la modernité des Trente Glorieuses ? Ou bien est-ce une trace du désir de reconnaissance ou de la fierté de l’architecte face à son œuvre ?
Cette église s’inscrit en effet dans le renouveau de l’architecture religieuse amorcée dès l’après-guerre dans les régions meurtries par la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement dans la vallée du Rhône.
Le renouvellement de l’esprit des lieux de rassemblement et de prière s’est imposé suite à des réflexions et débats menés au sein de l’église catholique. Basés sur un retour aux fondements de la chrétienté, ils ont abouti au Concile œcuménique de Vatican II en 1962 : « Abandon du latin dans la liturgie, dialogue interreligieux, plus grande participation des laïcs à la messe, une église comme lieu de rassemblement de la communauté autour de l’autel. Tâche à laquelle s’est attelée une nouvelle génération d’architectes du mouvement moderne » (4).
Toutefois, c’est aussi l’accroissement des villes et des villages qui a généré la construction d’églises modernes dès les années 1950.
C’est le cas d’Alboussière qui a entrepris cette construction dans le but de contribuer au développement économique du bourg. Ainsi que le stipule la délibération du 4 août 1962 de la commune représentée par le maire Edmond Javelas :
«Le comité paroissial d’Alboussière et l’association diocésaine de Viviers, demandent la garantie de la commune pour l’emprunt qu’ils désirent contracter auprès de la caisse d’épargne de Tournon pour le financement des travaux de construction de l’église en cours de réalisation. Considérant que, du fait du déplacement du chef-lieu de la commune, l’église (Saint-Didier-de-Crussol, ancien chef-lieu) est maintenant à environ 1 km de l’agglomération, et que d’autre part, cette construction contribuera certainement au développement économique et touristique de la commune. […] dit qu’il y a lieu de procéder à un vote […] pour décider de l’accord de principe de la garantie à donner à l’association diocésaine, propriétaire du terrain sur lequel est édifiée l’église » (5).
Le principe de la garantie communale est acquis par vote le 21 septembre 1962 :
« L’association diocésaine devra faire connaître dans les meilleurs délais : le montant de l’emprunt, le taux, la durée d’amortissement et le total de l’annuité […] Selon la loi de finances rectificative N° 61 825 du 29 juillet 1961, article 11 : Les emprunts contractés pour financer la construction dans les agglomérations en voie de développement d’édifices répondant à des besoins collectifs, de caractère religieux, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, peuvent être garantis par les départements et par les communes» (6).
Réalisée bénévolement par les habitants dans un esprit œcuménique et
quelques entreprises,
la construction a duré dix ans (9)Archives diocésaines de Viviers : acte de vente du 21 novembre 2002 de l’église par le diocèse à la commune..
M. Chirouze vendait à cette époque, des machines agricoles et matériels ménagers. Son magasin se trouvait en face de la future église. S’il a gardé cette carte postale, c’est parce que la construction de cette église a été pour lui un bon souvenir. Selon lui, ce serait le maire Edmond Javelas qui aurait choisi l’architecte Jean-Pierre Joulie dont il a le souvenir d’un homme « impeccable », abordable et très professionnel.
Selon M. Chirouze, les plans avaient été présentés aux paroissiens et aux habitants qui ont « bien reçu cette nouvelle construction ».
Le 21 novembre 2002, s’effectue le transfert de propriété entre le diocèse et la commune (7)Archives diocésaines de Viviers : acte de vente du 21 novembre 2002 de l’église par le diocèse à la commune.
Il est convenu sous acte notarié, que la commune d’Alboussiere, représentée par le maire Jacques Dubay, le transfert de propriété du terrain et de la construction appartenant à l’association diocésaine représentée par le père Christian Goudard et Michel Gamon, délégué des paroissiens à la commune d’Alboussiere, pour un montant de UN EURO. La commune d’Alboussière devient alors propriétaire du bâtiment et du terrain attenant.
La convention établit que la commune prendra en charge financièrement les travaux de réhabilitation, l’installation d’un système de chauffage, indépendant de celui de la salle du rez-de-chaussée, les dépenses de fonctionnement restant au frais de la communauté catholique. La commune devra faire passer la commission sécurité selon la réglementation. Des travaux d’insonorisation seront réalisés. Les manifestations bruyantes de la salle du rez-de-chaussée, devront tenir compte du calendrier des offices. L’utilisation de la salle polyvalente fera l’objet d’une demande écrite auprès de la mairie. Le mobilier de l’église demeure propriété de la paroisse catholique.
La commune autorise la communauté catholique à placer une plaque signalétique près de l’entrée de l’église avec comme inscription, église Notre-Dame du Sacré-Cœur (8)Archives diocésaines de Viviers : acte de vente du 21 novembre 2002 de l’église par le diocèse à la commune..
Les terrains ont été vendus par Gabriel Trapier en 1959 (parcelle AD 1052) puis en 1976 (parcelle AD220). (10)Archives diocésaines de Viviers : acte de vente du 21 novembre 2002 de l’église par le diocèse à la commune.
La salle polyvalente, toujours utilisée, était prévue dès le début du projet.
Selon M. Chirouze, l’église a été réalisée par des bénévoles aussi bien catholiques que protestants. La construction de l’église a été longue, de 1961 à 1971. D’ailleurs, Michel Gamon, habitant d’Alboussière, dit que la communauté protestante aurait participé au financement de la construction.
D’après M. Chirouze, les fondations ont été creusées « à la main ». La maçonnerie en « pierres douces » qui venaient d’une ancienne carrière d’Alboussière, taillées à Champis, a été montée par deux frères Gourdol d’Alboussière. La charpente a été montée par une entreprise de Lamastre. La zinguerie a été réalisée par l’entreprise Gamon.
Mme Baudet, une habitante d’Alboussière se souvient qu’en 1963, la charpente achevée, a été dressé un sapin sur le faîtage, selon une tradition, un rituel social, qui symbolise le bon travail des ouvriers, maître d’ouvrage, architecte et toute personne ayant participé au chantier (11)
Les vitraux, qui avaient le rôle de menuiseries extérieures, ont été commandés directement par le curé de l’église. L’électricité a été réalisée par l’entreprise Tinland.
Composée
d’une seule nef,
l’église peut accueillir
environ 220 personnes.
Une architecture qui allie modernité et tradition.
Hormis le parvis et l’accès à l’église, la réalisation de l’édifice correspond au projet figuré dans la carte postale.
Avec deux accès distincts, l’édifice regroupe une salle communale au rez-de-chaussée et l’église à l’étage, accessible par un escalier extérieur.
L’église se présente comme un volume simple construit en pierres massives apparentes aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. La pierre est rarement utilisée par les « modernes » qui utilisent le béton pour ses possibilités structurelles et plastiques, telle la chapelle de Ronchamp (1953). Mais ici, la pierre laissée brute rejoint ici l’un des principes du mouvement moderne de laisser perceptible la structure et la vérité du matériau.
La toiture à deux pentes inversées vers un chéneau central aux larges débords aux sous faces lambrissées, renouvelle l’esthétique des toitures traditionnelles.
La fente du grand vitrail vertical qui s’appuie sur une corniche en béton, dynamise le volume relativement massif. Les vitraux colorés et abstraits ponctuent de manière régulière les façades sud et nord.
Le clocher-mur s’appuie sur le côté de la façade nord.
Le parvis étant en retrait et surélevé, l’entrée de l’église est relativement discrète, peu visible de la route.
L’architecte l’a protégée par un large débord de toiture. La porte au quadrillage de bois moderne est elle-même en retrait de la façade.
L’intérieur est dépouillé, éclairé par la série de vitraux qui rythment les murs nord et sud et amènent une lumière colorée.
L’espace est symétrique (principe architectural abandonné par les « modernes »), tant dans ses ouvertures, son mobilier et son carrelage. Seuls l’élévation du plafond vers le chœur et le vitrail sud modifient sa symétrie et dynamisent ainsi l’espace.
L’autel est éclairé latéralement par un grand vitrail. Dispositif spatial symboliquement fort, développé après-guerre par les grands architectes que furent Alvar Aalto (église d’Imatra en Finlande -1955), Georges-Henri Pingusson à l’église de Fleury en Moselle (1955-1962) et plus près d’ici, repris par l’architecte Maurice Bini dans l’église Sainte-Madeleine au Pouzin (1955).
Des suspensions en cuivre ponctuent la toiture ; elles semblent être de l’époque de sa construction
Le mobilier liturgique, l’autel, le bénitier, la croix, sont eux aussi minimalistes.
Un mobilier liturgique épuré
L’absence de décors laisse toute sa place symbolique au mobilier liturgique.
La fine croix placée dans l’axe de l’autel est en encadrée par un léger retrait du mur.
Le tabernacle est décoré de poissons (symboles de l’Eucharistie) stylisés.
A l’image de l’architecture de l’église, le bénitier, l’autel, le socle du tabernacle aux formes géométriques simples sont en pierre. Le chemin de croix est en bois et céramique.
L’autel, le tabernacle, le bénitier, et le chemin de croix
Des vitraux colorés abstraits.
Sept vitraux de dimensions 76 x 76 cm répartis de part et d’autre de la nef sur les façades sud et ouest, un haut vitrail de 180 cm de large vers l’autel raidi par deux piliers en béton, et deux autres plus petits en façade ouest illuminent la nef. Ils sont réalisés en dalles de verre serties de béton, technique fréquemment utilisée après la Seconde Guerre mondiale parce qu’économique. Ils jouent ainsi leur rôle architectural de fermeture, de pénétration de la lumière naturelle dans l’édifice ainsi que d’apport de la couleur.
Grand vitrail sud et détail
Ces vitraux ne sont malheureusement pas signés. Il n’est donc pas possible de connaître la genèse du projet, de la commande aux croquis préparatoires, qui aurait pu expliquer les intentions de l’artiste sur le plan architectural et spirituel.
Cependant, on peut supposer qu’ils pourraient être de la main du peintre verrier Chapuis et être réalisés par l’atelier Balayn, créé en 1950 à Loriol (Drôme). Car Chapuis et Balayn ont souvent travaillé ensemble, en particulier à l’église Sainte-Madeleine au Pouzin. En effet, on peut rapprocher ces vitraux de ceux de l’église Saint-Nicolas d’Aïssey (1956) avec leur graphisme souple et vivant en toile d’araignée, les spirales ascendantes, les formes symboliques, la vivacité des couleurs et leurs «structures solaires en nid d’abeilles, arbres, flottement aquatiques, figures géométriques simples, qui renvoient aux figures fondamentales de la Création » (12).
Associant dans sa matérialité modernité et tradition, cette église témoigne du souci de la commune et de l’architecte de l’inscrire dans le monde contemporain.
Cet édifice cultuel mériterait au moins une plaque évoquant la date de sa construction, le nom de l’architecte ainsi que l’esprit œcuménique qui a guidé sa construction.
Un traitement plus valorisant de l’espace public dans l’esprit de celui du temple rapprocherait ces deux édifices et valoriserait l’aménagement du centre du bourg.
Nota : le fonds de l’architecte Jean-Pierre Joulie donné aux Archives départementales de la Drôme n’a pas encore été dépouillé. Son classement pourra permettre de révéler des éléments nouveaux sur l’histoire architecturale de l’église.