« L’intérêt des archivistes pour les documents concernant l’architecture et l’urbanisme a été souvent vif, dans la mesure où ces pièces permettaient d’éclairer la connaissance du patrimoine régional et local et d’analyser avec rigueur le paysage bâti » (1)Jean-Pierre Babelon, « Les archives d’architecture et d’urbanisme », dans La Gazette des archives, n°141, 1988, pp. 181-197, citation p.182..
Julien Mathieu
attaché de conservation du patrimoine, responsable du service Archives communales
et communautaires de Valence témoigne de l’intérêt d’une complémentarité du réseau public des Archives nationales, départementales et communales avec les initiatives privées de collecte d’archives d’architecture, telle l’AVPAV .
Pourtant, bien que l’intérêt de ces fonds pour l’histoire économique, sociale, culturelle et même environnementale soit reconnu depuis longtemps, la prise en compte des spécificités propres aux fonds d’archives privées des architectes et de leurs agences est somme toute récente. 40 ans à peine nous séparent en effet des premiers efforts d’organisation de la collecte et de la mise en valeur de ce type de fonds conservés en main privée. La première difficulté venait des architectes eux-mêmes, embarrassés par la gestion de masses documentaires grandissantes et démunis quant aux stratégies de tri et de classement à mettre en œuvre. Passée la fameuse « garantie décennale », les destructions de dossiers s’avéraient massives. En parallèle, les plans regardés comme « chefs d’œuvre » pouvaient être dispersés entre les héritiers et élèves d’un architecte, ou remis à des académies professionnelles destinées à préserver la mémoire corporative (projets, concours, etc.). Dispersion et destruction se conjuguaient ainsi au détriment du « respect des fonds » (maintenir l’intégrité des documents produits par un architecte ou une agence) et l’absence de classement ruinait toute entreprise d’étude ou de mise en valeur historique.
L’ancrage de ces nouvelles organisations est résolument « territorial », avec le souci de défendre un patrimoine inscrit dans la géographie et l’histoire locales.
Les professionnels de la conservation démontrent, après la loi sur les archives de 1979, un intérêt nouveau pour les archives d’architecture. Un lieu ressources national, associatif mais patronné et soutenu par les ministères, l’Institut français d’architecture (IFA), est créé en 1980-1981. En 1986 parait la première étude méthodologique consacrée au classement, utile tant pour les architectes eux-mêmes que pour les institutions ayant collecté des fonds d’architecture ou d’urbanisme.(2). Françoise Hildesheimer, Le traitement des archives des architectes : étude de cas, la France. Une étude RAMP, Paris, UNESCO, 1986, 86 p. Surtout, dans le sillage de l’IFA, architectes, chercheurs et archivistes vont réunir leurs énergies et hybrider leurs compétences pour donner naissance à des associations dédiées à la sensibilisation et à la préservation des fonds d’archives d’architecture restées en main privée. L’ancrage de ces nouvelles organisations est résolument « territorial », avec le souci de défendre un patrimoine inscrit dans la géographie et l’histoire locales.
Ces associations nouvelles viennent compléter les institutions déjà existantes, comme celles des Académies (nationales ou locales) d’architecture, qui disposent déjà d’importants cabinets de dessin et de bibliothèques spécialisées. Elles inclinent ces sociétés savantes, souvent issues du réseau professionnel, à réorienter elles aussi leur action de collecte en matière d’archives privées vers une meilleure préservation des fonds en leur entier. En région Auvergne-Rhône-Alpes, la vénérable Société académique d’architecture de Lyon (3), créée en 1830, est emblématique de cette histoire et du renouveau des années 1990. Après avoir, à partir de 1842, « réuni une importante collection de dessins, relevés ou projets d’architectes », le plus souvent « « tributs » exigés des nouveaux membres » ou pièces produites lors des « concours organisés par la Société », elle s’oriente résolument vers de nouvelles collectes de fonds d’agences à partir des années 1980, rejointe et soutenue par les Archives municipales de Lyon, qui multiplient alors collectes et publications.(4)Gérard Bruyère, « Lyon – Archives municipales de Lyon », dans Le réseau des archives d’architecture en France. – Colonnes, n°05, juin 1992, pp.14-16.
Au tournant de l’an 2000, les associations alliées aux institutions semblent avoir atteint leur but. Aux outils de méthodes (un manuel général de traitement pour la période XIXe-XXe siècles (5), un recueil d’articles publiés par l’association des archivistes français (6), notamment) s’ajoute un travail plus systématique de référencement des sources ouvertes à la recherche (7). Expositions, colloques et journées d’études renouvèlent la connaissance de l’histoire de l’art au plan local comme national. Le réseau public des Archives (nationales, départementales, communales) s’associe très largement à cet élan : il est possible de citer, après Lyon, le cas de Saint-Etienne, où le fond des architectes Lamaizière, entré aux Archives municipales en 1992, fait l’objet d’un important ouvrage collectif.(8). Les Lamaizière: architectes à Saint-Etienne 1880-1925, Saint-Etienne, Archives d’architecture de la Loire/Archives municipales de Saint-Etienne/Centre d’études foréziennes, 1995, 111 p.
Reconnaissons-le, la « mode » des collectes d’archives privées d’architecture se fane un peu au cours des années 2000,
Cet apparent aboutissement marque-t-il la fin de l’entreprise ? Reconnaissons-le, la « mode » des collectes d’archives privées d’architecture se fane un peu au cours des années 2000, supplantée alors par celles permettant de documenter d’autres thématiques. Le réseau national se « normalise » : l’IFA quitte son statut associatif pour devenir établissement public en 2004. Si toutes les éclosions provinciales n’aboutissent pas ou ne survivent pas après quelques années, les plus solides des associations régionales ou locales établissent des conventions avec les institutions publiques afin de stabiliser leur collaboration, notamment en ce qui concerne la conservation des fonds.(9)Associations d’archives d’architectes. – Colonnes, n° 22, décembre 2004.
Le milieu des années 2010 voit le renouveau de la question. Soucieuse de prolonger le dialogue si fécond initié dans les décennies précédentes, l’Association d’histoire de l’architecture (AHA) est créée en 2015 pour rassembler « la pluralité des acteurs et des institutions actives dans le champ de l’histoire de l’architecture. ». Elle initie en 2018 une nouvelle revue pluridisciplinaire, Profils (10). Signe des temps, le ministère de la culture confie la même année à l’inspection générale des patrimoines une mission d’études sur les archives d’architectes. Le rapport final (11) plaide pour que se multiplient les connexions entre opérateurs au service d’une « politique [renouvelée] de conservation des archives d’architectes ». Les acteurs professionnels (UDAP, CAUE, Conseil de l’ordre, maisons de l’architecture), les institutions patrimoniales (Archives départementales, communales) les associations d’amis du patrimoine architectural doivent s’unir pour renouveler l’action de préservation et de mise en valeur des décennies passées auprès des détenteurs d’archives privées d’architecture.
L’initiative de l’AVPAV vient donc à point nommé pour concourir à cet effort au plan local.
L’initiative d’une association pour la valorisation du patrimoine architectural du valentinois (AVPAV) vient donc à point nommé pour concourir à cet effort au plan local. Si Valence avait connu l’heureuse création d’une Maison départementale de l’architecture en 1996, lieu de rencontres et de sensibilisation aux questions d’architecture contemporaine et de développement urbain et rural (12), elle était restée hors de la « vague » des associations de préservation et de mise en valeur du patrimoine documentaire de l’architecture. Le nom retenu pour la lettre d’information de l’AVPAV, Archival, jouant sur la polysémie archives, architectes, valorisation… dit à lui seul le rôle de rencontre, de carrefour entre tous ces acteurs locaux, que peut remplir la nouvelle association. Tout cela en mettant en exergue un ancrage local, Valence et son agglomération, ouverte vers tous les amateurs et les chercheurs, d’où qu’ils viennent, intéressés par la préservation et l’étude de ce patrimoine.
L’histoire de l’architecture à Valence est encore réduite (13) On se permettra de renvoyer ici à la tentative de synthèse proposée en introduction d’Architectes et architecture à Valence (1800-1940). – Revue drômoise. Archéologie, histoire géographie, 2 vol. : n°563, mars 2017 et n°566, décembre 2017.. Il est donc heureux que la sensibilisation, l’organisation et l’accompagnement des détenteurs d’archives privées d’architecture s’organisent. Issue de l’œuvre de préservation d’un fond personnel et d’agence (le fond Rey-Joulie), l’AVPAV sera en effet le point de jonction entre associations corporatives, architectes et agences, amateurs d’architecture et d’histoire de l’art, chercheurs et professionnels de la conservation, qui faisait encore défaut au niveau local. Il reste à lui souhaiter de nombreuses recrues !