Église Notre-Dame du Rosaire des dominicains de Marseille
Xavier David
Architecte à Marseille, il est chargé par les dominicains de la restauration de l’église construite entre 1868 et 1878, par Pierre-Marie Bossan (1814-1888), l’architecte de la basilique de Fourvière.
Dans le cadre de la rencontre consacrée à « Pierre-Marie Bossan, un architecte symboliste, son influence dans la vallée du Rhône » du 07 octobre 2022 à la médiathèque de Valence en partenariat avec les Archives de l’Agglo, Xavier David a présenté l’église de Notre Dame du Rosaire à Marseille.
…« Pour l’église Notre-Dame du Rosaire, le choix de l’architecte ne sera pas facile. »…
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L’église Notre-Dame du Rosaire des dominicains de Marseille.
Cette dénomination n’est pas vaine, le thème de l’église dans toutes ses composantes et dans tous ses détails est celui du rosaire.
Le contexte historique et architectural à Marseille
En 1868, à Marseille, la première pierre de l’église dominicaine de Notre-Dame du Rosaire est posée.
La nouvelle cathédrale Sainte-Marie-Majeure à Marseille est alors en construction depuis le milieu du siècle, de style romano-byzantin. Son architecte est Léon Vaudoyer (1803-1872), grand architecte parisien.
Notre-Dame de Lagarde est aussi une construction de style romano-byzantin, l’architecte étant Henri-Jacques Espérandieu (1829-1874), un élève nîmois de Vaudoyer.
L’église des Réformés en chantier depuis 1855, est de style gothique du XIIIe siècle. L’abbé Joseph Pougnet (1829-1892) en est l’architecte.
Enfin, l’église Saint-Joseph, église paroissiale la plus proche des dominicains, se construit péniblement depuis 20 ans dans un style néoclassique de l’architecte Pascal Coste (1787-1879). Sa façade est quasiment la même que celle du Palais de justice.
En 1865, la nouvelle province dominicaine de Toulouse est recrée. Les dominicains français ont disparu pendant la Révolution. A partir de 1850, ils reviennent en France et ils se reconstituent. Ils vont donc construire un nouveau couvent à Marseille.
Pour l’église Notre-Dame du Rosaire, le choix de l’architecte ne sera pas facile.
Trois architectes sont pressentis :
– le nîmois Joseph Pougnet, en train de construire l’église des Réformés
– le lyonnais Louis Bresson (1817-1893), qui semble cocher toutes les bonnes cases. Il construit du gothique du XIIIe siècle ; il a de l’expérience et est sérieux
– Pierre-Marie Bossan, d’origine lyonnaise, connu des dominicains pour avoir construit la chapelle d’Oullins Mais son style est plus risqué, éclectique, ce qui, à l’époque, n’est peu apprécié. De plus, il est connu pour ne pas suivre ses chantiers.
En 1867, c’est le couvent de Marseille qui décide et choisit, suivant l’éclairage du père Cormier à l’unanimité l’architecte Bossan après avoir pris les avis de la province et de Rome.
Une correspondance étroite entre le père Cormier et Bossan, montre combien ils vont travailler la main dans la main pour construire l’église de Marseille.
Les archives
Les dominicains sont des religieux organisés et méthodiques. Il y a des archives à Marseille, documents techniques, bordereaux descriptifs et quantitatifs qui renseignent sur les matériaux utilisés.
Il y a une heureuse découverte des archives de Valence avec le fonds Joulie /Rey. Il y a peu de plans d’ensemble, mais j’y ai trouvé des détails du mode de construction qu’on ne peut pas voir à l’œil nu, sauf à faire des sondages destructifs.
J’ai eu aussi la surprise de découvrir que les façades étaient construites d’une façon très particulière. On voit des murs en pierre de taille; on les attendait de 35 cm d’épaisseur pour un mur porteur et une finition en plâtre à l’intérieur. On découvre en fait sur ces plans un mur en maçonnerie plaqué en pierres minces à l’extérieur.
On a là un architecte, un dessinateur, un concepteur extraordinaire. Mais ce n’est pas lui qui suit ses chantiers. Or l’église est fondée sur un sol médiocre, ce qui a provoqué des dizaines de fissures à l’intérieur qui auraient pu être évitées si les murs avaient été construits entièrement en pierres de tailles.
L’architecture et son décor en pierres extraordinaire
L’église a un plan relativement simple, une nef, des collatéraux bien ouverts, un chevet plat, des chapiteaux, des colonnes, tout le vocabulaire structurel sculpté en pierres.
En revanche, elle est riche d’un décor en pierres, d’une modénature, ornementation et sculpture extraordinaires avec des thèmes chers à Bossan et aux dominicains, tels l’archange et tel le chien «domini cannes , les chiens du seigneur», la figure du lévrier.
On y rencontre l’atelier de Valence ; les artisans d’excellence qui ont œuvré à Marseille viennent de Valence dont le sculpteur Paul-Emile Millefaut (1847-1907) et Camille Rey, le frère de Joannis Rey (1850-1915) qui assure la direction du chantier.
La finesse des détails des décors, de la modénature, de l’ornementation, des sculptures, (les chapiteaux sont tous différents) s’exprime dans le choix des pierres, pierre de Cassis, pierre froide, et celle de Chomérac. Elles sont en noir et blanc. Le dallage est en marbre blanc, gris et noir. La pierre sculptée est blanche et grise.
En revanche, les parois sont peintes à la chaux, avec des décors qui figurent les trois teintes du rosaire, le blanc pour les mystères joyeux, le rouge pour les mystères douloureux, le jaune or pour les mystères glorieux.
On y trouve aussi une galerie de vitraux à grands personnages de tous les saints et bienheureux dominicains depuis 700 ans.
Bossan est allé très loin, jusqu’à l’orfèvrerie, spécifique aux dominicains de Marseille. Il a travaillé avec Armand Calliat (1822-1901).
En conclusion, ce fut une église difficile à conserver dans le sens « en garder la propriété » au XIXe siècle: un premier financement par la famille Noilly-Prat, deux expulsions, deux rachats par la même famille.
Une église difficile à conserver, dans le sens de la sauvegarde patrimoniale: dans les années 1950-1960, une réelle désaffection de l’église par les dominicains amène la destruction de la chaire du baptistère et de l’autel majeur.
Depuis les années 2000, l’église a retrouvé une belle vitalité. Les dominicains ont restauré, complété et même surélevé un bâtiment autour du cloître.
Depuis maintenant deux ans, ils ont pris le parti de restaurer l’église avec une nouvelle génération de dominicains, enthousiasmés par la grâce esthétique et fonctionnelle que leur a offert Bossan.